Infinity of Waste, le déchet à son apogée

Vers une poétique du rebus

 

Infinity of waste est une installation questionnant le devenir des décharges sauvages. Générant à l’infini une zone criblée de déchets épars, le dispositif se développe autours de plusieurs éléments : une série de sculptures présentant les déchets de la zone stockés dans des cuves, une projection vidéo permettant au spectateur de contempler la friche et la dispersion de ses déchets, une narration sonore et musicale développant un récit poétique. 

 

 

Rencontre avec le déchet

Le 15 mars, dans les environs de Carrière-Sous-Poissy, Cergy et Mantes-La-Jolie.

 

Quelques jours en amont, nous avions minutieusement repéré sur Google map, une cinquantaine de zones à l’abandon et à fort potentiel narratif. 

Dès le matin, nous avions planifié d’explorer une première friche pensant bien y trouver le “rien” qui nous y attendait toujours. Pourtant, dès notre arrivée sur place, le vide et le silence avaient disparu pour laisser place à un océan de déchets.

 

Sur les images satellitaires, la zone paraissait exclue du désordre urbain des alentours. Entourée par une forêt rachitique, elle devait s’étendre sur environ 5 km2 et semblait être parasitée par d’étranges vagues blanches.  

Après avoir franchi un fossé et parcouru une centaine de mètres, nous étions face à elles. Déchets, parpaings, ferraille, électroménager, vêtements crasseux et laine de verre formaient une mer qui semblait pouvoir nous submerger. Au milieu du chaos ambiant, on pouvait discerner une horloge de gare ou d’école dont les aiguilles indiquaient une heure lointaine…

(Extrait du compte rendu d’exploration de la première zone)

 

Bien qu’elle soit isolée, cette zone semblait vouloir “raconter autre chose que sa propre pollution”, dépasser cette fonction et ne plus l’accepter… Et dans le cri de sa saturation, ouvrir un questionnement plus global.

 

 

Le déchet comme signal

Extrait d’analyse sur la décharge sauvage

 

La société contemporaine étant en constante accélération, on constate depuis les années 60 une accélération de la production et de la consommation. En effet, des matériaux tels que le plastique, les nouveaux procédés industriels et une demande croissante du consommateur ont mis en route une mécanique semblant inarrêtable. Cette production, trop rapide pour que les matières qu’elle engendre soient efficacement gérées, aboutit inévitablement sur des situations de crise : apparition de décharges sauvages, solution de stockage millénaire ou déversement de déchets au large des côtes.

À l’ère du jetable et du «déjà-dépassé», où apparaissent désormais ces lieux poubelles ? 

L’obsolescence inéluctable semble créer autant de plein que de vide. Dans les salles condamnées des universités, s’entasse du matériel informatique désormais inutile ; sur les plages de Normandie, ressurgissent les déchets enfouis il y a maintenant trente ans ; dans les friches, abandonnées par toutes structures, s’érigent des détritus en tas monumentaux.

Ainsi, la décharge sauvage, qu’elle soit à Roubaix, au Havre ou à Aix, agit comme un signal et devient l’élément visible d’une perte de contrôle de la consommation. 

En cela, ces lieux pollués apparaissent, non pas vides de tout sens, mais symptomatiques d’un présent. Ces zones, les objets qui les jonchent, les paysages qu’ils créent et leur portée symbolique, semblent posséder des qualités : être vecteur d’un pessimisme inspirant, d’une intemporalité et d’un lien fâcheux avec le territoire.

 

 

La décharge sauvage comme lieu d’invention

(ou Le déchet comme matière poétique)

 

Malgrés son aspect désordonnée et générique, chaque décharge sauvage possède sa propre identité, sa propre façon d’exister :

Parfois, elle modifie significativement le paysage (montagne de déchets de Cergy) ; à d’autres moments, les déchets réapparaissent après enfouissement (plage du Havre) ; elle peut émerger de manière imprévue dans le tissu urbain (Aix en provence) ; ou encore se disperser sans fin sur le territoire (mer de déchets de Carrière sous Poissy). À chacune de leur apparition, ces zones forment autant d’impacts dans le paysage que d’imaginaires potentiels et inspirent plus qu’il n’y paraît :

 

J’aimais tout particulièrement les arrivages de verre. Seul lui se brisait de manière sublime, chaque éclat faisant chuter une partie du ciel.

Quand je déplaçais certains jouets, s’en échappait parfois quelques notes, comme s’ils étaient de nouveau agités dans les mains de leurs anciens propriétaires.

En empilant les déchets, j’essayais lamentablement de reproduire les paysages que j’avais pu voir sur d’anciennes cartes postales : la mer, l’océan, la montagne.

Chaque jouet étant unique car brisé à des endroits différents, je les dispersais puisqu’il m’était impossible d’en trouver deux similaires. 

(Extraits d’éléments de narration)

Cette capacité des zones à raconter plus qu’elles ne sont et à marquer considérablement leur environnement immédiat et futur, pose alors la question du devenir des décharges sauvages. Ainsi, quelle porosité y a-t-il entre décharge et paysage ? Ces espaces sont-ils territoires-amnésiques ? Peut-on définir une mythologie du déchet ? Peut-on trouver une poésie à l’infini des océans de détritus ?

 

 

Déchets = capsule temporelle

 

Un autre élément important, est le temps de dégradation des déchets sur ces zones. En effet, que penser du fait que le déchet, seul, peut nous subsister

La décharge, en stockant les restes du passé, apparaît comme l’ultime émanation d’une société de production. Elle apparaît alors comme un musée à ciel ouvert agissant comme un témoin de notre époque, ou une capsule temporelle utilisant à son avantage la durée de vie presque infinie du déchet.

 

Le projet pose donc les questions suivantes : 

– Les déchets ne forment-ils pas la seule capsule temporelle involontaire ?

– Peut-on imaginer, dans plusieurs millénaires, un musée du déchet ?

 

J’organisais les jouets de même type par tas en prenant bien soin que le plus conséquent apparaisse en dernier.  

Les groupes furent autorisés à en prélever deux ou trois échantillons à des visées pédagogiques.

Afin de surprendre le visiteur, j’avais inscrit sur panneau de bois un message mystérieux : “Danger de chute et d’envol, interdiction absolue d’entrer.”.

Lors de mon affectation, la zone était complètement vide, on racontait que c’était une ancienne gare, l’emplacement d’un magasin de bricolage, ou une ancienne plaine maraîchère.

(Extraits d’éléments de narration du musée)

 

En proposant une installation hypnotique, le projet Infinity of Waste montrent les étendues stériles des décharges sauvages sous un nouveau jour, poétique et infinie, et sensibilise le spectateur en tentant de répondre à la question : comment seront perçus ces zones dans mille ans ?

 

 

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