Comment puis-je établir des liens d’appartenance avec une ville inconnue à travers les phénomènes imperceptibles qui l’habitent et qui échappent constamment à mes sens ? 

 

Lorsque nous reconnaissons un territoire pour la première fois, nous essayons de ressentir toutes les perceptions visuelles, sonores, olfactives, tactiles qui caractérisent cet espace unique. Une fois que nous les percevons, elles affectent notre esprit, deviennent une partie de notre mémoire et ne nous échappent jamais.

 

Le jour où je suis arrivée au Château Éphémère, le chant des oiseaux était si fort qu’il est resté dans ma tête même jusqu’à aujourd’hui. C’était la première fois que je réalisais une résidence artistique dans un autre pays. Tout était nouveau pour moi et les premières impressions que j’ai eues du Château Éphémère restent encore vivantes dans ma mémoire. En tant qu’artiste Colombo-Canadienne qui a migré à Montréal il y a 6 ans,  l’idée de m’établir dans un nouvel endroit inconnu n’était pas étrange. C’était comme voyager dans le temps et vivre à nouveau une expérience du passé dans un présent complètement différent. Incertitude, désorientation, expectative, curiosité, bonheur. Même si je me souvenais de toutes ces émotions, elles frappaient mon esprit comme la première fois.

Découvrir et connaître un nouveau territoire signifie pour moi l’acte de planter une partie de nos racines afin d’alimenter la constante recherche de notre identité. Nous sommes tous les endroits que nous avons visités, nous sommes nos mémoires et nos perceptions disparues du passé.

 

[Photos 1 et 2 – Journal personnel]

 

 

Mon projet de résidence intitulé Les villes superposées est proposé comme une exploration technique et poétique sur la découverte et la compréhension du territoire de Carrières-sous-Poissy à travers la captation et la représentation visuelle et sonore de phénomènes imperceptibles aux sens humains. Partant d’une exploration sensible du territoire, j’ai capté différents paysages visuels et sonores imperceptibles qui échappent à notre perception et qui nous exigent une façon différente de contemplation. Cette dimension imperceptible et mythique est révélée et matérialisée, par des moments, grâce à des appareils spécialement conçus, mais reste inconnue et presque insaisissable le reste du temps.

 

Pour ce travail, j’ai assemblé un récepteur des très basses fréquences VLF-3 conçu par The Inspire Project (Interactive NASA Space Physics Ionosphere Radio Experiments) pour la captation des interruptions du champ magnétique de la terre causées par des phénomènes naturels comme les tonnerres ou les aurores boréales. D’autre part, j’ai créé des hydrophones afin de réaliser des captations sonores sous l’eau, des microphones de contact et j’ai modifié des appareils photo afin de détecter la lumière infrarouge. L’exploration de cette dimension imperceptible du territoire a commencé dans mon studio et elle s’est étendue aux installations du Château Éphémère, aux espaces urbains de Carrières-sous-Poissy et finalement aux espaces naturels du parc du Peuple de l’herbe et Saint Germain-en-Laye. Cette démarche a été appuyée par la réalisation d’un journal de bord consignant mes impressions, découvertes et pensées tout au long ma résidence.

 

[Photos 3 et 4 – Création des dispositifs]

 

 

Durant mes explorations sur terrain, j’ai rencontré plusieurs défis techniques, surtout dans la captation sonore, domaine que j’explore il y a seulement quelques années. En raison des conditions du territoire de Carrières-sous-Poissy, mon utilisation du récepteur VLF a été limitée. Pour pouvoir réaliser des captations sans interférence, il faut s’installer dans un terrain ouvert, sans arbres au moins à 2 kilomètres de distance des réseaux électriques. Même si le territoire avait des espaces naturels importants, il y avait des poteaux électriques partout et ceci a rendu difficile une capture propre de ces phénomènes. Après quelques explorations, j’ai compris que ce type d’interférence fait aussi partie du paysage sonore de la ville et j’ai décidé de l’utiliser comme matière sonore pour l’installation finale. Ce territoire qui, à première vue, possède une richesse naturelle marquante possède aussi une grande présence d’interférences électromagnétiques imperceptibles à nos sens.

 

Chaque exploration visuelle et sonore a été suivie dans mon journal de bord et aussi par un journal visuel. Dans ceux-ci, j’ai consigné mes impressions personnels du territoire comme les incroyables chants d’oiseaux, la dualité calme/peur que j’ai ressenti lorsque j’ai exploré la forêt du parc du peuple de l’herbe et Saint-Germain-en-Laye, la tâche solitaire qui caractérise l’exploration des phénomènes éphémères et imperceptibles et comment celle-ci est aussi une pratique spirituelle, pas dans un sens religieux, mais comme un état qui nous permet de générer des pensées et des réflexions plus profondes sur notre existence.

 

[Photos 5 et 6 – Exploration de terrain] / [Photo 7 – Still vidéo infrarouge]

 

 

Après 3 semaines intenses d’exploration sur terrain, j’ai commencé le processus de création de l’œuvre. Ce processus s’est basé dans le concept de la superposition visuelle et sonore afin de créer des ambiances uniques contenant les captations les plus marquantes pour moi. L’installation est composée par deux vidéos différentes créées à partir des captations de la lumière infrarouge au Château Éphémère, dans les espaces naturels et urbains ainsi que sous l’eau de la Seine qui traverse la ville. La première vidéo est projetée dans le mur, la deuxième vidéo est projetée sur une série de 5 plaques en plexiglas transparent installées les unes derrière les autres. La vidéo projetée dans ces plaques est reflétée et crée une troisième image complètement nouvelle dans le mur en face. Finalement, la trame sonore est composée des captations spherics au Château Éphémère, des interférences électromagnétiques, des captations sous l’eau et de différentes textures présentes dans la ville.

 

Dans cette œuvre, j’explore le phénomène de la réflexion de la lumière et la superposition comme une façon de représenter la façon dont chaque personne crée une image personnelle du monde à partir de ses propres expériences, élaborant ainsi un dialogue intime et un portrait unique d’une ville inconnue.

 

[Photos 8 et 9 – Installation finale]

 

 

Création des dispositifs
Création des dispositifs